Les fantômes de l'Opéra ont perdu leurs linceuls

Jean-Marc Héry dédicacera son dernier roman
Les fantômes de l’Opéra ont perdu leurs linceuls
samedi 5 mars, librairie Myrove de 08h30 à 12h00

La Provence du 3 mars 2011

25 janvier 1875

La place de l’Opéra est en effervescence. Le soir même le général McMahon doit procéder à l’inauguration du bâtiment. Le directeur Halanzier parcourt une dernière fois les grands escaliers, s’assure que les marbres ont été briqués, que les fleurs ont été correctement positionnées. Il s’inquiète de ce que l’éclairage électrique ne fonctionne toujours pas à quelques heures de l’arrivée des premiers invités.

Son visage traduit la plus vive inquiétude. Un agent de sécurité ne tarde pas à le rattraper : on signale un problème dans le vestibule d’entrée ou s’amassent les badauds. Ici se côtoient toutes les classes sociales : qu’ils portent le claque ou une simple casquette miteuse, tous espère négocier une place. Or depuis des heures, le ton est monté : les cannes martèlent le sol et les plus hardis osent crier qu’à l’époque de Napoléon III les choses eussent été différentes. Les cordes qui contiennent la foule se tendent de plus en plus.

Le responsable du vestiaire tente de se frayer un passage au milieu de cette horde. Il interpelle Halanzier comme s’il eût s’agit d’un de ses collègues. Ce dernier ce froisse, réajuste sa veste et se contente d’un signe de la main pour faire comprendre qu’il n’a pas de temps à perdre.

« Il faut vendre les billets réservés aux députés ! Ils devaient les retirer avant 17h00, les ordres du général sont pourtant très clairs ! »

Halanzier s’arrête net, esquisse une moue réprobatrice puis se livre frénétiquement à son activité préférée lorsqu’il se trouve en position délicate : il retire ses binocles, souffle sur les verres et commence de petits mouvements circulaires avec son mouchoir pour les nettoyer.

« Si nous faisons ça nous aurons droit à une émeute ! seuls 245 parlementaires ont été tirés au sort pour disposer de places ce soir et ils sont encore réunis en Chambre. Je sais que Monsieur Garnier vous a négocié ce poste… je connais aussi votre passé de directeur du théâtre de Bordeaux mais ici, je reste, du moins jusqu’à ce soir, le seul maître de ballet ! »

Sans même décocher un regard à son interlocuteur et faisant fi des hurlements de la foule il fait mine de remonter dans les étages lorsqu’une paluche d’étrangleur vient se poser sur son épaule et l’oblige à se retourner.

« Pourquoi croyez-vous que McMahon ait organisé une réunion plénière de l’Assemblée ? Dehors cela devient incontrôlable : même les hauts-fonctionnaires revendent leurs places 5 louis chez les marchands de vin de la rue Drouot. Si vous n’y prenez garde vous risquez de ne plus rien contrôler. Vendez les places des députés ! »

Halanzier hésite une dernière fois, observe la foule amassée devant l’entrée et prend le temps de considérer l’entrée fracassante d’un parlementaire en frac, la canne menaçante. Le Député Tolain, réputé en faveur de la Commune, venait de pénétrer dans le saint des saints. La moustache lustrée et le haut de forme impeccablement dressé il se dirigeait d’un pas leste vers le directeur, repoussant à la manière d’un joueur de rugby (ce sport né au début du siècle en Angleterre) tous les laquais qui tentaient de lui faire obstacle.

Parallèlement, le nouvel archiviste, Charles Nuitter, déboulait telle une furie, les bras encombrés de rouleaux et documents divers. La collision des deux hommes devenait inévitable et les bedeaux éclatèrent d’un rire si franc que Tolain en perdit son légendaire self-control, déchirant à qui mieux-mieux les plans, cartes et autres papiers qui lui tombaient sous la main.

« Cochon de bonapartiste ! engeance d’esclavagiste ! Ne pourriez-vous respecter un peu plus la voix du peuple ? Vous étiez à n’en pas douter de ceux qui nous ont décimés ici en soixante et onze ! Je vous imagine bien, la baillonnette aiguisée, visant de malheureux citoyens de Paris qui pourrissent aujourd’hui dans les fondation de ce gouffre financier et nourrissent les carpes ! »

Puis se retournant vers le Directeur qui profitait de l’incident pour tourner les talons…

« Et vous là ! le cloporte à la solde de notre bon général !… par bonheur je me suis retrouvé ce matin légèrement indisposé de sorte qu’il ne m’a pas été permis d’assister à la séance du jour ! »

Halanzier pensait en son fort intérieur que l’assemblée avait perdu là son plus tonitruant orateur et que c’était son jour de chance.

« Oui, vous ! porc accoquiné avec Bismarck ! Traître à la Nation, ordure ! »

Une main s’agrippe à l’avant-bras du responsable du vestiaire qui, l’instant d’avant, réclamait que l’on mette en vente les billets des députés.

« Je crois, mon cher François que vous avez renoncé à vos fonctions de directeur du Grand Théâtre de Bordeaux pour nous rejoindre ?… mais pensiez-vous arriver dans un zoo où les primates dominent ? Savez-vous qu’à Paris certains babouins ont un postérieur en forme de cœur mais un cerveau de la taille d’une noix ? … et savez-vous qu’il me faut subir leurs assauts quotidiennement ???

Monsieur le Député, que puis-je pour vous satisfaire ??

_ j’ai reçu mon invitation et suis venu sine die la retirer…

_ Et alors ?

_ Alors ? … je suis placé à cour !!!!… jamais, vous m’entendez ? Jamais un député de gauche n’acceptera de s’asseoir à droite de Mc Mahon ! »

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