Histoire d’une amitié
Louis-Félix CHABAUD et Charles GARNIER

Conférence par Jean-Marc HÉRY mercredi 24 mars 2010 à Venelles

Louis Charles Garnier, architecte de l’Opéra de Paris, 1860-1874 Louis Charles Garnier, architecte de l’Opéra de Paris, 1860-1874 Nouveaux indices

Étudions de près la seconde signature de Charles Garnier, au niveau de la Rotonde, perdue dans des entrelacs où le lecteur avisé pourra deviner de façon circulaire : Louis Charles Garnier, architecte de l’opéra de paris, 1860-1874. Chose curieuse, cette signature va être entourée de 16 têtes : 12 représentant les 12 signes du zodiaque et 4 représentant les 4 points cardinaux.

Les explications de Garnier quant à ces ornement sont totalement vaseuses… il se perd en considération peu crédibles, affirme que les 12 signes du zodiaque sont là parce que l’on peut faire tourner un opéra en toute saison ???
Quant aux 4 têtes supplémentaires… il dira simplement qu’il aimait tellement celles de Chabaud qu’il aura décidé de lui en confier 4 de plus (il en a réalisé plus de 380 dans tout l’opéra… était-ce bien nécessaire ??)

Autre explication possible : Il faut revenir sur l’importance pour la franc-maçonnerie de la tétraktys (littéralement à « 4 rayons »)

Pour les franc-maçons, le zodiaque revêt une importance particulière (3*4) ainsi évidemment que les 4 points cardinaux (une loge est toujours « orientée » ce qui suppose qu’elle respecte scrupuleusement les 4 points cardinaux).
Sur certaines photographies il est possible d’observer l’Orient d’un Temple, c’est-à-dire l’Est où se lève la Lumière chaque jour de midi à minuit plein, sur les travaux des francs-maçons écossais de la Grande Loge de France. On peut souvent distinguer un superbe autel pour le Vénérable Maître agrémenté de 4 colonnes et d’un delta avec l’œil de la connaissance en son centre. Enfin, au dessus, on peut souvent observer les symboles traditionnels des 12 signes du zodiaque formant un arc au-dessus du delta de ce temple. Au centre du symbole du Grand Architecte de l’Univers, l’étoile Flamboyante guidant les initiés vers la Lumière… 4 colonnes, 12 signes du zodiaque avec au centre le grand architecte… la similitude demeure curieuse… l’hypothèse est toutefois aujourd’hui confirmée suite à mes travaux par madame Maud Domange qui organisera l’exposition Garnier aux Beaux-Arts l’année prochaine à Paris.

Alors ? Franc-maçonnerie ou pas ???

Observons les ornements récurrents à l’opéra de Paris : lyre, pomme de pin, pentacles, etc…

Tout d’abord force est de constater une uniformité dans les lyres de l’Opéra : TOUTES sans exception comportent 3 cordes (qui d’ailleurs sont généralement des thyrses).

On observe aussi des instruments plus particuliers, en particulier des cistres (instrument égyptien) sur la rambarde en bronze qui fit la fierté de Garnier.

Une hypothèse avait été avancée considérant que la lyre est l’emblème d’Apollon et la pomme de pin celui de Bacchus. Référence directe au furor divinus de Platon, aux préfaces de Gargantua et du tiers livre de Rabelais et à Ronsard qui considérait que la poésie naissait d’un antagonisme entre plaisir bachique et plaisir apollonien.

Toutefois, si cette hypothèse avait été la bonne, on aurait retrouvé ces symboles dans le cadre d’un lieu de plaisir… pas d’un lieu de pouvoir comme l’était les appartements de Napoléon III où ces symboles foisonnent.

Et puis convenons que la signature de Garnier dans la Rotonde pose un énorme problème.

Il faut se souvenir que pour les Rose-Croix (qui sont pour simplifier les ancêtres des francs-maçons), les personnages de Bacchus et de Jean Baptiste sont intimement liés : il existe même au musée du Louvre un tableau attribué à Léonard de Vinci et connu sous le nom de St Jean le Baptiste au thyrse.

En outre, plusieurs éléments décoratifs réalisés communément par Chabaud et Facchina laissent à penser à une appartenance à la franc-maçonnerie.

Collaboration avec Facchina

Deuxième coup de dé dans l’existence de Chabaud et de Garnier.

En 1870, la France est exsangue, il n’y a plus d’argent dans les caisses et l’on fait savoir à Charles Garnier qu’il ne sera pas possible de terminer son opéra.

Et une alliance très improbable va se nouer avec la principauté de Monaco.

Le Casino-Opéra de Monte-Carlo naquit certainement d’une imposture.

Il convient de se souvenir qu’à l’époque la principauté de Monaco n’avait rien de véritablement enviable. Le traité de Turin de 1860 voit la fin de la domination piémontaise : la Savoie et Nice sont restituées à la France et Napoléon III promet la réalisation d’une voie praticable en carrosse entre Nice et Monaco, le seul chemin existant à l’époque étant un simple sentier qui reliait Nice à Menton et dit « Chemin du Prince ».

Les tractations avec Charles III furent difficiles mais permirent en outre la construction d’un chemin de fer qui devait relier Paris à Rome.

Cette voie ferrée allait être le point de départ du tourisme monégasque en même temps qu’un atout stratégique majeur dans l’édification du casino-opéra.

Le factotum de cette aventure, pour le moins champêtre à la base fut un financier du nom de François Blanc, directeur de la Société des Bains de Mers qui hérita, en 1863, du périlleux dossier du casino. Il avait été en effet décidé de concéder l’édification d’une salle dévolue au jeu afin de favoriser l’essor économique de la principauté, qualifiée de « principauté homéopathique » dans les années 1860. François Blanc, pour autant demeura une personnalité fort complexe et très controversée.

En 1837 en effet, il fut condamné par l’État Français pour délit d’initié après avoir acquis une fortune considérable à la bourse de Bordeaux. François Blanc était, tout comme Chabaud, originaire du sud de la France (de Courthezon dans le Vaucluse pour être précis) il ne serait qu’à demi étonnant que les deux hommes se soient connus.

François et Louis Blanc construisirent leur fortune sur une gigantesque arnaque à Bordeaux. Spéculant sur les fluctuations des rentes de l’État, il leur était nécessaire de connaître avant les autres si les cours étaient en hausse ou en baisse à Paris afin d’acheter ou de vendre avant que le marché local ne s’aligne sur celui de Paris. À l’époque, les Rothschild utilisaient déjà des pigeons voyageurs pour transmettre les nouvelles essentielles entre leurs bureaux. Les deux frères eurent l’idée fort habile d’utiliser le télégraphe Chappe – une chaîne de sémaphores – avec la complicité des fonctionnaires en charge de son fonctionnement. Le principe était simple : un fonctionnaire complice introduisait dans un quelconque message officiel, un message codé qui en fait signifiait « marché en baisse » ou « marché en hausse ». À cela s’ajoutait un second complice à Bordeaux chargé de déchiffrer le message et d’anticiper les anomalies ainsi constatées de sorte que les deux frères disposaient en moyenne d’une demi-heure d’avance sur tous les autres agents de change. Après deux ans de fonctionnement, qui leur permirent d’amasser une somme considérable, la supercherie fut enfin découverte et ils furent condamnés pour corruption de fonctionnaires bénéficiant toutefois du résultat de leurs gains.

Cela n’empêcha pas François Blanc d’obtenir une concession de 50 ans pour gérer le casino de Monte-Carlo, alors situé provisoirement sur le rocher des Spélugues. Il est vrai que les deux frères pouvaient se prévaloir d’une solide expérience dans l’organisation des jeux de hasard dans la ville de Hombourg où ils avaient, dès 1840, obtenu une concession de 30 ans pour monter casino, espace thermal et développer le tourisme de la commune. Mais Hombourg n’était fréquentée que pendant les beaux jours et l’interdiction des jeux de hasard sur le territoire français rendait la position de Monte-Carlo extrêmement stratégique.

Paradoxalement le nom de Garnier fut aussi associé à un second spéculateur constructeur de la région en la personne de Raphaël Louis Bischoffsheim. Même si son nom demeure plus épargné que celui de François Blanc, il n’en reste pas moins un mécène en même temps qu’une personnalité trouble qui contribua à la reconnaissance de l’architecte (et donc indirectement de Chabaud) sur la Riviera française et italienne. Il est probable, pour ne pas dire certain que Garnier et Bischoffsheim se connurent avant 1870. Il convient de rappeler à ce fait que Garnier fut contraint d’interrompre la construction ou du moins la supervision de l’édification de l’opéra de Paris en raison de problèmes de santé qui l’amenèrent à Bordighera. Bischoffsheim demeurait alors à Paris 27 rue de Grammont et nul n’ignore que Garnier contribua pour beaucoup à l’édification d’une villa qui porte aujourd’hui le nom du banquier à Bordighera. Bischoffsheim fut aussi controversé que put l’être François Blanc, même si son honnêteté reste plus avérée sur un plan historique. Élu député des Alpes maritimes en 1880, il connaîtra, dans une moindre mesure, compte tenu de l’opinion publique excitée par les affaires du Honduras dans lesquelles il sera impliqué, l’antisémitisme qui sera fatal à Dreyfus. Son nom restera néanmoins associé à deux immenses banques mécènes : le Crédit Lyonnais et la Banque Paribas. C’est lui qui, passionné d’astronomie, permettra la construction d’un nouvel observatoire révolutionnaire dans sa conception à Nice, observatoire dont l’architecture fut confiée à Garnier et la décoration, pour partie à Chabaud.

Garnier, nous le savons, fut impliqué auprès de grands financiers, ce qui n’a rien de péjoratif.

En 1870, alors que la France était exsangue se posait le problème du financement de l’Opéra de Paris. Les relations de l’architecte furent plus qu’utiles contre un gouvernement impuissant. Il obtint un prêt de 4.7 millions de francs or au taux d’intérêt de 6% à la seule condition que Garnier réalise un casino opéra digne de Monte-Carlo en 6 mois.

Il mettra en réalité 8 mois pour le réaliser avec l’aide évidemment de Chabaud et de Gustave Eiffel. Entre temps François Blanc décéda mais l’édification d’une salle de concert demeura d’actualité. Même si à la base l’édification de l’opéra casino de Monte-Carlo résulta d’une réalité économique qui pour Garnier, consistait à achever son œuvre avec l’aide de financeurs privés, fussent-ils discutables, cette situation profita à Chabaud.

Les travaux commencèrent le 9 mai 1878 avec le simple arrachage des plantations qui occupaient la terrasse, alors même que Garnier n’avait toujours pas envoyé les plans définitifs.

En bon stratège, François Blanc, puis sa veuve qui « hérita » en quelque sorte du dossier, imposèrent leurs conditions tant à l’architecte qu’à l’État français.

Pour l’architecte, il s’agissait de réaliser une annexe au casino existant avec une nouvelle salle de concert dans un délai de 6 mois, ce qui obligea plus de 400 ouvriers, essentiellement italiens, à travailler 24h/24 sur un chantier qui fut pharaonique.

Pour l’État français, qui dut ratifier un décret à cet effet signé par le Général Mac-Mahon le 10 mai 1874, il s’agissait d’une part de faire preuve de bienveillance à l’égard de la famille Blanc et aussi d’assurer l’intensification de la ligne ferroviaire entre Paris et Monte-Carlo.

Le calcul, comme nous le verrons, était double :
– assurer la pérennité du tourisme dans la région et à terme le développement économique de la principauté
– permettre d’acheminer beaucoup plus facilement de matériaux de construction lourds au sein même de la principauté et plus particulièrement, comme nous le verrons, à proximité du chantier du nouveau casino, pour ainsi dire au pied même de la nouvelle salle de concert.

Diapositives 48-49-50-51 :

L’une des pièces les plus remarquables réalisées par Chabaud demeurent les têtes allégoriques représentant divers genres musicaux (musique à corde, musique de chasse…)

Ces têtes furent d’ailleurs en leur temps considérées comme si exceptionnelles qu’elles inspirèrent deux dessins à Georges Clairin, dessins aujourd’hui conservés dans le cabinet des arts graphiques du musée du Louvre et qu’il m’a été permis, à titre tout à fait exceptionnel, de photographier.

Clairin, fut connu pour ses tableaux réalisés à l’Opéra de Paris et à l’opéra de Monte Carlo, mais aussi pour avoir été l’amant de Sarah Bernhardt (dont il réalisa un mémorable portrait)

Bas-relief Opéra de Monte-Carlo D'après Louis-Félix Chabaud D'après Louis-Félix Chabaud