Histoire d’une amitié
Louis-Félix CHABAUD et Charles GARNIER

Conférence par Jean-Marc HÉRY mercredi 24 mars à Venelles

Chabaud, comme je l’ai déjà souligné, se révélé assez peu enclin à suivre les indications de l’académie et ses dessins sont restés pendant longtemps une grande source d’interrogation.

Certains, en effet, sont clairement clairement orientés suivant deux thématiques que nous allons tenter de définir ensemble.

Chabaud premiers mystèresLa première a trait à toute la mythologie autour de Bacchus (on voit ici une Ménade en train de danser avec un satyre – villa Albani et Musée du Vatican). Veuillez noter avec attention l’objet que tient la ménade dans sa main et qui se termine par une pomme de pin : il s’agit d’un thyrse.

MénadesQuand je parle de Bacchus, je parle de tout ce qui a trait à lui : cela va d’Orphée (qui fut assassiné par les ménades à coup de thyrse précisément), à Hermès (l’inventeur de la lyre) et naturellement à sa propre naissance (fils de Sémélé, nous y reviendrons).

Les ménades et plus particulièrement le thyrse sont donc un élément récurrent dans les dessins de Chabaud : on voit ici les triétérides thébaines (que l’on retrouve en plusieurs endroits de Rome : Musée du Vatican, palazzo Massimo, Villa Borghèse…) et une nouvelle illustration d’une fresque de la villa de Cicéron à Pompéi représentant une Ménade domptant un centaure.

Cette thématique, curieusement, va être très employée par Chabaud dans son ornementation de l’Opéra de Paris ce qui laisse à penser qu’elle a un sens profond et ne constitue pas un simple ornement sans signification… d’autres artistes liés à la franc-maçonnerie l’emploieront à foison tels que Clairin Cliquer, (plafond du Glacier où l’on ne dénombre pas moins de 7 thyrses) ou Leneveu au niveau de l’ancien plafond de la salle Garnier (aujourd’hui remplacé par le plafond de Marc Chagall, autre grand franc-maçon).

Franc-maçon : le mot est donc lâché et nous allons voir qu’il revient de façon récurrente et dans le cas de Chabaud et dans le cas de Garnier.

Jean le BaptisteDeuxième thème très étudié par Chabaud : celui de saint Jean le Baptiste… il ira jusqu’à reproduire tous les éléments de la porte dévolue au saint au Baptistère de Florence (ces portes ne sont pourtant pas parmi les plus célèbres)… il reproduira aussi les vertus qui lui sont liées dont il complètera son étude au niveau du parvis de la cathédrale de Sienne.

Il convient de rappeler l’importance pour les franc-maçons du personnage de Jean le Baptiste (et avant eux pour les Rose-croix) qui est associé au solstice d’hiver.

Maintenant que nous savons que Garnier et Chabaud se sont suivis, ont couvert sensiblement les mêmes sujets il convient de revenir aussi sur leur carrière commune et ce qu’ils réaliseront ensemble.

  • À Paris
    • L’Opéra Garnier
    • La tombe d’Offenbach
  • En Province
    • L’Opéra de Monte-Carlo
    • Le Casino de Vittel
  • À l’étranger
    • Églises et villas à Bordighera

Pour autant demeure une question : si leurs carrières connurent un essor particulier avec le chantier de l’Opéra de Paris il convient aussi de replacer ces deux artistes et leurs réalisation dans l’époque.

Qu’avaient donc fait Chabaud et Garnier avant 1860 ?

Pour Garnier en définitive assez peu de chose (et c’est là le problème) : aucune construction notable, seulement des études, quelques restaurations en Grèce.

Napoléon III médaille par ChabaudPour Chabaud les choses étaient déjà plus établies.

Il faut commenter cette médaille qui nécessita, pour l’anecdote, de nombreux remaniements, l’empereur estimant que son oreille était disproportionnée il fallut la refaire à 3 reprises.

On pourrait aussi évidemment citer la fontaine de la Rotonde à Aix mais sachant que j’ai décidé d’axer mon propos sur l’œuvre commune de Chabaud et de Garnier il n’en sera pas question ici. Par contre impossible de ne pas mentionner les deux œuvres qu’il réalisa pour le Musée du Louvre : la première étant une allégorie de l’automne (tiens encore un thyrse) et la seconde une allégorie de la musique qui se situe aujourd’hui hors de vue du public, dans la cour Lefuel (on peut l’apercevoir depuis la salle de la Joconde).Le Louvre, allégorie de la musique

On pourrait aussi citer sa Diane (qui contrairement à ce qui a pu être dit n’a jamais été prévue pour le Louvre mais pour les jardins de Fontainebleau).

Bref, il est clair qu’à l’époque Louis Félix Chabaud commençait, outre ses activités et ses récompenses dans les salons, à disposer d’une notoriété grandissante sur la capitale.

Ce qui est notable donc c’est un premier événement survenu en 1858 l’attentat organisé contre Napoléon III et l’impératrice Joséphine.Attentat contre Napoléon III

Orsini cache habilement son action en s’adonnant à des actions de propagande pacifiste en faveur de l’indépendance de l’Italie. Dans le même temps, il cherche à joindre Cavour qui s’abstient prudemment de lui répondre. Dans les derniers mois de 1857, Orsini résolu à passer à l’action s’interroge quant au fait de mener une telle action seul, l’espoir étant de déclencher une révolution en France qui se propagerait en Italie. Mais il s’aperçoit vite que se procurer le nécessaire pour la fabrication d’engins artisanaux et savoir comment atteindre l’empereur posent des problèmes importants, il lui faut des complices.

Il met au point son action avec un Anglais, dénommé Allsop, et avec un chimiste français demeurant à Londres, Simon Bernard, chargé de mettre au point les bombes. En même temps, il recrute trois complices : Pieri et Rudio, comme lui anciens mazziniens convertis au terrorisme et Gomez qui, avec lui, a en charge l’attentat. Après un long travail de repérage des habitudes de l’empereur, ils apprennent que le couple impérial assistera à une représentation à l’opéra. Ils se retrouvent le 8 janvier pour se distribuer les rôles.

Le jeudi 14 janvier, l’arrivée étant prévue à 20h30, les conspirateurs regagnent leurs places dès 19 heures, munis d’une bombe qu’ils devront lancer selon un plan très précis. Pieri se place dans la rue Le Peletier ; Gomez, Rudio et Orsini se placent juste en face de l’opéra. Pieri, étant déjà l’objet de recherches, est arrêté par un officier de la paix qui l’a reconnu. On découvre sur lui une bombe, un pistolet et un poignard. Il est enfermé au poste de police le plus proche mais ne subit aucun interrogatoire qui aurait pu conduire à l’arrestation de ses complices.

À 20 heures 30, le cortège impérial se présente sur le boulevard des Italiens : un escadron de lanciers, puis la calèche de l’empereur et trente mètres plus loin, le carrosse de la princesse Mathilde. L’ensemble tourne à gauche dans la rue Le Peletier, l’opéra se situant en face du n°19. Lorsque le convoi s’y arrête, Gomez lance la première bombe sous les chevaux des lanciers ; une énorme détonation retentit fauchant chevaux et cavaliers. Peu de temps après, une seconde détonation se fait entendre. Cette fois, c’est Rudio qui a lancé sa bombe sous l’attelage. La troisième bombe, celle d’Orsini, éclate sous la calèche qui se renverse sur le côté. Verrières et vitres d’immeubles environnantes se brisent, des cris se font entendre aux alentours. On compte 156 blessés ; 12 personnes mourront dans la nuit. L’empereur n’est pas touché ; il descend de sa voiture intacte. L’impératrice est retrouvée sur le trottoir couverte de sang, mais elle est saine et sauve.

Toutefois, alors que l’Impératrice et l’Empereur se préparent à regagner le palais des Tuileries, le directeur de la salle Le Pelletier les incite à venir quand même assister au spectacle au prétexte que le public, qui avait entendu les déflagrations pourrait s’interroger sur leur survie.

Napoléon III et son épouse assistent à la représentation, deux heures durant tous les yeux rivés sur eux… mais rentrent furieux.

Le lendemain l’empereur prend la décision de faire construire une nouvelle salle de spectacles à Paris.